À propos
Je suis vigneron dans le Beaujolais depuis 2009, après un début de carrière professionnelle dans l’informatique. En bon bobo qui fait son retour à la terre, j’ai tout de suite décidé de convertir mes vignes à la bio, avant de prendre conscience des difficultés inhérentes à ce mode de culture et du peu d’efficacité des traitements phytosanitaires, qu’il faut renouveler après chaque pluie au risque de voir sa récolte dévorée par les pathogènes.
Un jour de printemps 2013, alors que nous échangeons avec un ami vigneron de la fragilité de la vigne et de cette « corvée » que sont pour moi les traitements, celui-ci me dit : « si t’en as vraiment marre de sulfater, t’as qu’à planter des hybrides. » Avant d’ajouter « mais je te préviens, ça fait des vins dégueulasses. »
Sa conclusion n’était pas franchement engageante, c’est le moins qu’on puisse dire ! Mais mon ami avait piqué ma curiosité, et je me mis immédiatement en quête d’informations à propos de ces mystérieuses « vignes hybrides » dont je n’avais jamais entendu parler.
J’apprends bientôt qu’on les nommait ainsi parce qu’elles furent le fruit d’hybridation entre vignes américaines et vignes françaises. Le mot « hybridation », qui peut apparaitre à prime abord suspect, désigne en réalité une opération très simple, qui consiste à prendre du pollen d’une variété de vigne pour la déposer sur la fleur d’une autre, puis de semer les pépins issus de cette fécondation dirigée avant d’observer patiemment les qualités et défauts des ceps qui surgiront de terre pour ne retenir que les individus jugés les meilleurs. Cette technique, employée en France depuis la fin du XIXe , le sera pendant presqu’un siècle, par des générations « d’hybrideurs » qui vont créer d’innombrables variétés de vignes hybrides, où le même objectif sera inlassablement poursuivi ; chercher à marier au sein de leurs progénitures les qualités de résistance naturelle aux pathogènes des parents américains, au goût traditionnel des cépages français.
Je découvre bientôt avec surprise que le premier recensement viticole d’ampleur national, établi en 1958, recense 400 000 hectares de vignes hybrides en culture, le tiers de la surface totale du vignoble de l’époque, et plus de la moitié de celle de notre vignoble actuel ! Si les vins issus de ces vignes étaient aussi médiocres que le prétendait mon ami, pourquoi nos aïeux en avaient-ils cultivé une surface aussi étendue ?
Plus surprenant encore, comment, en soixante ans à peine, une telle surface avait-elle pu disparaître ? ( En 2010 ne subsistaient plus que 10 000 des 400 000 hectares de vignes hybrides recensés en 58, et encore, les dernières parcelles étaient vouées progressivement à l’arrachage, quand les vieux paysans propriétaires qui s’échinaient à les entretenir pour leur consommation personnelle n’en auraient plus la force.)
Je finis par goûter des vins issus de ces variétés. Des bons ! Et des moins bons ! En tout cas, tout est loin d’être imbuvable, contrairement à l’idée habituellement colportée que leur disparition serait exclusivement due à leur piètre qualité gustative.
Le plus étonnant pour moi fut de constater que rares sont ceux, y compris chez les professionnels du vin, à connaître l’histoire pourtant récente de la culture de la vigne hybride en France. Dans son imposante histoire du vignoble français publiée en 1988, l’historien Marcel Lachiver écrivait : « Si les ouvrages sur le vignoble français se multiplient aujourd’hui en librairie, il ne s’agit le plus souvent que de livres qui traitent de la période contemporaine et qui ne parlent que des produits les meilleurs. Écrits par des amoureux de la vigne, ils s’attachent à mettre en valeur, quelquefois pour des raisons commerciales évidentes, un patrimoine qu’il faut exalter et rentabiliser. » Le passage aux oubliettes de l’histoire de la culture des hybrides en France illustre parfaitement ce constat. Il faut croire que les commentateurs de la vigne ont jugé contreproductif, dans la construction du roman national de notre viticulture, « la plus prestigieuse du monde », de s’attarder sur cet épisode de notre histoire viticole, où la culture de la vigne hybride était largement répandue chez les paysans. C’est ainsi que les vignes hybrides s’apprêtaient à disparaitre lentement de nos mémoires, comme elles étaient entrain de disparaitre de nos campagnes.
Mais voilà, devant les menaces désormais avérées que font peser les pesticides sur notre santé et sur notre environnement, les vignes hybrides, que l’on nomme désormais vignes résistantes, pointent à nouveau le bout de leur nez au sein de notre vignoble. Le phoenix est-il prêt à renaitre de ses cendres ?
En 2016, après avoir visité quelques rares vignerons cultivant des variétés hybrides, je décide de franchir le cap à mon tour et plante mes premières vignes résistantes.
J’assisterai bientôt à une sorte de miracle, celui d’une vigne qui s’épanouie par elle-même, sans le moindre traitement ! D’autres parcelles allaient suivre et j’expérimente à ce jour une quarantaine de variétés différentes.
Si vous êtes curieux de déguster les vins de ces cépages, ou de découvrir mon vignoble et d’ échanger à propos de la vigne hybride, n’hésitez pas à me contacter, j’aurais plaisir à vous accueillir.